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Si moi j'ai le plus beau compliment à faire à un chanteur, c'est ça: il a sa signature. Tu l'entends chanter, t'as pas besoin de connaître la chanson, c'est Daniel Lavoie.

Bruno Pelletier

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Album «Here in the heart»

daniel-013La dernière fois que j'ai rencontré Daniel Lavoie, c'était au moment de lancer «Long Courrier», son 12e album, au printemps de 1990. À ce moment, Lavoie m'avait glissé, au compte-gouttes, quelques mots sur un album anglais, enregistré en même temps que Long Courrier. «Quelque chose de très différent, et pas une traduction de mes chansons, comme ç'a été le cas avec mes deux autres disques en anglais, «Tips» et «Cravings», s'était-il contenté de dire.
Deux ans plus tard, il admet que «Here In The Heart» a fait du chemin, depuis.

Daniel: L'idée première était de faire un album double bilingue avec «Long Courrier». Mais Roch Voisine a eu l'idée avant moi! Et après, «Long Courrier» m'a tellement occupé que j'ai laissé de côté l'album anglais pour un bon moment. Puis, quand j'y suis revenu, je me suis rendu compte que certaines chansons avaient mal vieilli. Alors, je les ai scrapées. C'est à ce moment que j'ai eu l'idée d'aller à Los Angeles.» Pour y voir une vieille connaissance, l'éditeur Bo Goldson. Goldson l'a invité à rencontrer l'auteur Mary-Beth Darry.

Le contact établi, le travail n'a pas traîné. Lavoie et Derry se sont vite entendus et ont co-écrit quatre des chansons de «Here In The Heart».

Daniel: Ç'a a été un contact très intéressant. C'était la première fois que j'écrivais avec une autre personne de cette manière. Quand je travaillais avec Thierry Séchan (frère de Renaud) on se transmettait nos textes par fax. Avec Mary, on travaillait toujours sur le moment, très spontanément.

Ce qui a sans doute orienté ses textes vers des thèmes nettement plus concrets que ceux de «Long Courrier». Loin de la rêverie de son dernier disque, «Here In The Heart» se présente comme une sorte d'instantané de l'air du temps. On y sent plus d'inquiétude, celle d'un père qui s'excuse presque de léguer à ses descendants un monde aussi trouble.

Daniel: Inquiétude? Oui, c'est peut-être le bon mot. Ce sont mes préoccupations des dernières années. Avec un ado qui grandit, avec un jeune enfant qui arrive dans ce monde. Un monde que je crois beaucoup plus difficile que dans ma jeunesse. Me semble que c'était moins négatif. Surtout moins violent. On a l'impression qu'aujourd'hui il y a plein de jeunes qui n'ont pas le choix de jouer le jeu de la violence. Ils sont pris dans un piège. Je ne vise pas de responsables en particulier. Tout ça découle de choix qu'on a tous faits. Mais en même temps j'essaie de regarder tout ça avec du recul et un peu d'humour. Faut pas trop paniquer. Tout n'est pas si noir».
À preuve, «100 Kilowatts», qui dépeint avec ironie un monde futur où le chant des oiseaux a disparu, remplacé par "un C.D. qui joue à dix heures et à quatre heures...

Côté son, on n'est pas si loin de «Long Courrier». Toujours ce juste équilibre entre instruments acoustiques et synthés, ces atmosphères feutrées. Et toujours cette finesse dans les arrangements et la réalisation, signés pour la plupart par Lavoie et l'indispensable André Lambert. Quant aux quelques pièces composées et enregistrées à Los Angeles, Lavoie a fait appel à Billy Williams, réalisateur de Lyle Lovett, et autre copain de Bo Goldson.

Daniel: Billy m'a présenté quelques musiciens, dont l'excellent contrebassiste Leland Sklarr. Il a fait tous les grands des années 70, dont James Taylor, et il vient d'enregistrer avec Phil Collins.

Quant à l'équipe de Montréal, on reste en famille: Hart Rouge, Maurane et Warren Williams aux choeurs, Bob Cohen à la guitare, et Michel Cusson qui fait quelques apparitions. Un beau mariage, puisque l'unité règne sur tout l'album.

Daniel: J'ai beaucoup aimé la couleur légèrement country que les musiciens californiens ont apportée à l'album. Mais pour être franc, le fait de travailler avec eux m'a fait réaliser une chose: on n'a pas besoin d'aller aussi loin pour trouver des musiciens de ce calibre. On en a en masse à Montréal.

Reste à affronter le marché du public canadien anglophone, pour qui il se sait un parfait inconnu.

Daniel: Ça me stimule beaucoup. Parce que j'ai l'impression de redevenir un ti-cul qui commence à zéro. Sauf que je le fais avec vingt ans d'expérience dans le corps, ça fait beaucoup moins peur!