Daniel Lavoie: interview pour «J'écoute la radio»
11 novembre 2012
Daniel Lavoie a une double actualité: la sortie récente de son album J’écoute la radio et son concert à La Cigale, le 13 novembre prochain.
Star au Québec, certes, mais en France, il est loin d'être un inconnu. Midem d’or à Cannes en 1985 pour la chanson «Ils s’aiment», Victoire de la musique du meilleur Album Francophone pour «Tension Attention» puis «Vue sur mer», sans oublier les Victoires qui ont récompensées Notre-Dame de Paris notamment pour la chanson «Belle» à laquelle il prête sa voix en compagnie de Patrick Fiori et Garou. «Ils s’aiment» est aujourd’hui inscrite au patrimoine de la chanson française, représentative des grands «tubes» des années 80 et reprise à travers le monde.
Je l’avais déjà mandorisé en 2007. L’idée de le recevoir à nouveau m’a traversé l’esprit quand j’ai su qu’il fêtait son 40e anniversaire de carrière. (Merci à Christelle Florence de m’avoir organisé cette interview en deux temps, trois mouvements).
Présentation officielle de l’album J’écoute la radio:
Pour son 22e album, Daniel Lavoie retrace 40 années de carrière et propose 11 relectures de ses plus grandes chansons, de «Ils s'aiment» à «Je voudrais voir New-York» en passant par «Tension Attention» et «Où la route mène», premier extrait de J'écoute la radio, d'ailleurs complété par une chanson inédite du même titre. Réalisé de façon épatante par Marc Pérusse, «J'écoute la radio» est un album qui réaffirme toute la stature de l'auteur, compositeur et interprète, de ses textes forts, portés par de nouveaux arrangements riches et habiles, et de sa voix, unique, toujours immense.
Jeudi dernier (le 8 novembre 2012), Daniel Lavoie, accompagné de Virginie d'ABACABA, est venu à l’agence, pour évoquer cet album, sa carrière et son concert à La Cigale.
Interview:
Vous sortez en album tous les deux ans depuis 22 ans. C’est dingue cette régularité!
C’est une habitude qui est devenue au fil des années une façon de vivre. Par contre, rassurez-vous, ça ne devient pas une routine parce qu’on risque notre gueule à chaque fois. Quand on fait un album, c’est toujours difficile, surtout quand on est là depuis longtemps. Comme disait Gilles Vigneault, on devient un bibelot qu’on oublie d’épousseter». On ramasse un peu la poussière et il faut se fouetter pour toujours retrouver sa brillance, se renouveler.
Il faut s’épousseter soi-même?
Oui, c’est exactement ça. Moi, j’ai toujours beaucoup de bonheur à faire de la musique donc je continue à faire ce que j’aime. C’est mon moteur.
Il parait que c’est en faisant vos courses dans une grande surface que l’idée de ce disque à germé. Vous avez entendu une ancienne chanson à vous et vous vous êtes fait la réflexion qu’elle était affreuse.
Ça s’est passé exactement comme ça. J’ai entendu une chanson qui s’appelle «Je voudrais voir New York» qui a été un gros tube au Québec et ici en France. En écoutant sa réalisation des années 80 avec des montagnes et des océans de réverbérations, d’échos, un gros solo de sax un peu ringard, je me suis dit, « non, ce n’est pas possible ! Cette chanson mérite mieux que cet arrangement.» Pour ce disque, j’ai choisi des chansons que j’aime qui gardaient une pertinence en 2012 et qui correspondent encore à ce que nous vivons. J’ai eu envie de leur donner un habillage beaucoup plus naturel afin qu’elles respirent mieux.
Vous n’avez choisi que des chansons importantes, celles qui ont été des tubes…
Oui, uniquement des number one au Québec. C’était des chansons que le public a choisies. Etonnement, ce sont des chansons qui pour moi ont encore un sens aujourd’hui.
Avec vos nouveaux arrangements, cet album unifie vos chansons. On a donc l’impression d’un disque inédit…
J’avais envie que ces chansons-là aient ce genre d’unité. En 40 ans de carrière, j’ai appris beaucoup de choses en technique d’enregistrement, en travail en studio, en choix. Ce n’est pas un disque qui se veut au goût du jour, qui essaie de faire dans le moderne, qui essaie de racoler. C’est un disque qui se veut très naturel, interprété avec de bons musiciens et de bons instruments, avec une prise de son très léchée et très travaillée.
Vous trouvez que vous chantez mieux aujourd’hui qu’à vos débuts?
Indéniablement. Je suis beaucoup plus conscient de ce que je fais quand je chante. Chanter, c’est un métier. Je m’en suis rendu compte avec les années. À mes débuts, je chantais sans y penser. Je ne réfléchissais pas à la technique, mais petit à petit j’ai appris comment me servir de ma voix pour en faire un instrument d’émotion.
Vers 45 ans, vous avez commencé une carrière dans la comédie musicale… vocalement, ça change tout, non ?
Vous ne croyez pas si bien dire. J’ai fait Notre Dame de Paris et Le Petit Prince. Deux expériences très exigeantes vocalement.
Au point de remettre en question votre façon de chanter?
Oui. On se rend compte qu’il y a une discipline que l’on doit s’imposer. Avant, je ne m’en imposais aucune. J’y allais et ça tenait toujours le coup, mais là, je n’avais plus le choix. Je n’avais pas le droit ni à l’erreur, ni à la défaillance. Il fallait vraiment que je me discipline et que je travaille. C’est ainsi que je suis arrivé au niveau demandé.
C’est un peu comme un sportif… il faut de l’entraînement constant.
Tout à fait. Il faut s’entraîner. Dernièrement, on a refait les concerts de Notre Dame de Paris en version symphonique.Ca m’a pris un mois de travail très intense pour, de nouveau, réattaquer ce répertoire.
Revenons à ce disque. Il va permettre aussi aux jeunes générations de vous découvrir…
Je ne sais pas si ça va les intéresser, mais en tout cas, ils ont avec cet album un condensé de 40 ans de travail en 12 chansons. C’est le meilleur de mon « œuvre ». Je sais qu’au Québec, il y a des jeunes qui redécouvrent mon travail. J’ai l’impression que l’on saute une génération. Les enfants de ceux de ma génération ne voulaient rien entendre de moi. Leurs parents m’avaient écouté et encore écouté et aujourd’hui, ce sont les petits-enfants qui sont, de nouveau, intéressés.
Généralement, on aime bien entendre les tubes dans leurs versions originales, avec les arrangements de l’époque.
Je crois que les gens qui connaissent mes chansons trouvent autre chose dans cet album. Beaucoup me disent qu’ils entendent les textes différemment.
Est-ce que vous aussi, avec ces nouvelles orchestrations, vous redécouvrez vos chansons?
Je retrouve surtout le plaisir de chanter ces chansons. Pendant de nombreuses années, j’en ai trafiqué pas mal, mais je cherchais une forme définitive qui demandait un vrai travail. Très difficile parfois. C’est ce qu’on a fait avec Marc Pérusse. On a pris le temps de décortiquer chaque chanson. D’en faire une, deux, trois versions différentes et de se demander laquelle est la plus crédible et la plus honnête. On a mis une année complète pour enregistrer cet album. « Jour de plaine » par exemple, j’en avais marre de la chanter. En la revisitant, je redécouvre une chanson que j’aime et je reprends grand plaisir à la chanter de nouveau.
Est-ce qu’on peut dire que l’ambiance est folk?
Mon vocabulaire premier dans cet album, c’est vraiment celui des années 70. Je dirais que la musique s’apparente au folk rock. C'est-à-dire, des batteries, des guitares acoustiques, du piano, de très belles basses et de temps à autre des cuivres.
Que va-t-on entendre sur la scène de la Cigale mardi soir (13 novembre 2012)? Ce disque dans son entier?
J’ai 4 musiciens et la scène nous permet de prendre des libertés par rapport au disque. On en prend donc, mais ce sont quand même les mêmes arrangements. Je vais chanter quasiment tout l’album «J’écoute la radio» et plus. Je vais même revisiter«Notre Dame de Paris». Il faut que je le reconnaisse, il y a des gens qui ne me connaissent qu’à travers cette comédie musicale. Les gens sont très heureux quand je chante ces morceaux.
Et rendre heureux les gens, ça me paraît la moindre des choses pour un artiste.
Voilà pourquoi j’ai dit à Denis Bouchard, qui a fait la mise en scène de mon spectacle, que je voulais faire pour la première fois de ma vie un «feel good», c'est-à-dire un show qui fait plaisir aux gens. J’ai accepté de faire toutes les chansons que veulent entendre les gens. Ça n’a pas toujours été le cas. Je veux qu’ils ressortent avec le sourire aux lèvres.
Globalement, êtes-vous satisfait de la façon dont votre carrière s’est déroulée?
Je suis en paix avec ce que j’ai fait, les choix, mes décisions. J’en ai pris des mauvaises parfois et elles m’ont coûté très cher. J’ai mangé de bons gros coups sur la gueule, mais j’ai appris plus des coups durs que des succès. J’en ai eu aussi pas mal d’ailleurs. J’ai eu de gros tubes avec des chansons à moi, avec des chansons des autres, j’ai fait de la télé, du cinéma. Je ne suis jamais devenu une icône, mais je m’en fous complètement parce que je ne pense pas que je laisserai grand-chose… et ce n’est pas grave.
Je sais que vous aimez beaucoup la France.
Oui, pourtant, j’ai conscience d’avoir parfois un peu trop négligé le public français. Je le regrette. J’aurais dû être plus présent. C’est incompréhensible parce que j’adore la France. J’ai passé beaucoup de temps ici et j’y ai beaucoup d’amis. Je connais Paris par cœur. Je suis un grand marcheur. J’y ai marché de fond en comble, de mur en mur. J’aime profondément cette ville.
Je sais qu’au Québec, vous alignez les tubes depuis 40 ans, mais en France, on vous parle toujours de la même chanson: «Ils s’aiment».
C’est certain que j’aurais bien aimé que d’autres chansons aient des échos similaires pour le public français, mais bon. Il aurait probablement fallu que je vive en France et que je m’y attarde. Il aurait fallu qu’à chaque album je fasse de la promotion comme au Québec.
Je peux aussi me dire que je n’ai jamais fait de musique facile d’approche et je n’ai pas toujours fait des chansons commerciales. J’accepte avec sérénité ce phénomène.
Parlons à présent d’une activité que je ne connaissais pas de votre part, la littérature.
Avec Finutilité, de l'infini au futile et à l'éphémère, vous signez votre première œuvre littéraire.
C’est un recueil de poésies, de pensées. En fait, j’appelle ça des essais poétiques. Ce sont des petits textes philosophiques très courts. C’est ma vision de la vie, mon testament existentiel. C’est un petit peu grâce à la France que ce livre existe. Lors de ma dernière tournée, vous vous en souvenez parce que vous étiez au concert de l’Européen, je lisais entre les chansons. Et les gens, à la fin du spectacle, me demandaient de qui étaient ses textes et où on pouvait se les procurer. J’étais bien obligé de répondre que c’était les miens et qu’ils n’étaient pas édités. À force de me le faire répéter, je me suis dit que c’était une bonne idée de les publier. J’ai proposé à une éditrice manitobaine, c'est-à-dire dans les plaines de mon patelin, si ça l’intéressait. Elle m’a dit oui. Ce livre a plutôt bien marché. Dans ce genre-là, c’est un best-seller au Québec.
Et écrire un roman?
Non. Je ne suis pas un coureur de fond. Je suis un sprinteur. Ma femme est écrivain. Elle écrit des romans et je vois le travail. C’est autre chose. Moi, je suis quelqu’un qui veut terminer dans la journée ce qu’il a commencé le matin. Le travail de longue haleine, ce n’est pas dans mes gènes.
Écrivez-vous des chansons de plus en plus facilement?
Oui, très franchement. J’ai trouvé des moments dans la journée pour écrire. Je trouve que quand on prend une habitude et qu’on la garde, il se crée un mouvement qui fait que si, à ce moment-là de la journée, je m’assois et je prends une plume, il y a des choses qui sortent… et ce n’est pas toujours con. Parfois, même, c’est bien.
Avec Patrick Fiori et Garou pour le revival de Notre Dame de Paris en version symphonique l'année dernière.
Vous travaillez sur des nouvelles chansons, là, en ce moment?
Je me suis lancé un gros défi. Je travaille sur un opéra rock, une comédie musicale un peu particulière.
Ah bon! Vous ne pouvez pas m’en dire plus?
(Il hésite). Le sujet peut m’attirer la foudre. Je n’en parle pas trop, mais je peux vous dire que ça parle des Amérindiens et de leur culture. Ce qu’elle était et ce qu’elle est devenue, ce, par le biais d’un chanteur amérindien qui fait un show rock. Ça va choquer beaucoup de monde, je pense.
En vous voyant m’en parler, j’ai l’impression que ce sujet vous touche. Pourquoi ce thème ? Est-ce lié à quelque chose qui vous concerne?
C’est un sujet qui est très proche de moi, parce que mes parents ont adopté deux Amérindiennes. J’avais 12 ans quand la première est arrivée chez nous. Elle avait 6 mois. Une deuxième de 4 ans et demi est arrivée après. Elles sont devenues mes sœurs. Je les ai vues grandir. Je les ai vues grandir avec les problèmes des Amérindiens, malgré le fait qu’elles vivaient chez les blancs. Si elles avaient voulu vivre normalement, elles auraient pu, mais la vie, un foutu un bordel de merde, les a rattrapé. Il y en a une qui s’est fait assassiner par la police il y a trois ans et l’autre qui vit aujourd’hui difficilement. C’est un peuple qui peine à s’émanciper parce qu’il est resté accroché à leurs vieilles façons, à leur vieille tradition, comme s’ils refusaient d’évoluer et ça les fait souffrir immensément. C’est terrible.
Et bien… je ne sais pas qui vous dire. Ce projet est bien avancé?
Très bien avancé. Il y a même une date de sortie déjà prévue. 2014.
Pour finir, ce disque-là, vos trois soirées à Bercy pour le revival de «Notre Dame de Paris» en version symphonique, c’est quand même bien la preuve qu’une chanson est vivante. Que si on l’habille autrement, elle peut ressortir et embellir…
Bien sûr et heureusement. Moi, j’espère que mes chansons seront reprises un jour par des jeunes pour que je puisse les voir vivre autrement. Une chanson, ou bien elle vit, revit, ou bien elle disparait et elle meurt. C’est comme nous. Ou bien on fait quelque chose, ou bien on meurt.
Avc Daniel Lavoie, le 8 novembre 2012.
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