Daniel Lavoie: l’élégance au service de la vérité
3 mars 2017
Le mot l’habille sur mesure: élégance. Tout est naturelle noblesse, en lui et autour de lui. Ce grand piano au centre, ce grand et bel homme au port de tête altier, cette tignasse poivre et sel si fournie. Derrière, les musiciens lui font une haie d’honneur, la base guitare-batterie-contrebasse d’un côté, les trois cuivres de l’autre, Jusqu’au plancher de scène qui reluit. Pour Daniel Lavoie, cette rentrée montréalaise mérite tous les égards.
Après tout, il aurait bien pu ne plus y avoir de première de nouveau spectacle. Ni de spectacle tout court, à vrai dire. On a failli le perdre, Daniel Lavoie, une infection pulmonaire a tout fait pour nous le ravir. Eh non! Depuis ce quitte ou double, on a eu de lui Mes longs voyages, l’album qui donne son nom au spectacle, et il a repris son Frollo dans Notre Dame de Paris tout l’automne parisien. Et ce vendredi soir, il est ravi et nous le sommes aussi. Vivants, tous. Et reconnaissants pour chaque instant.
C’est à la fois le même Lavoie et un homme que la traversée a changé. Autant la présentation est grand chic, autant Daniel est plus que jamais proche de nous, d’une transparence émotionnelle qui transcende sa gêne proverbiale. Il a manifestement le plus vif plaisir, entre les chansons, à nous parler, à nous raconter ce qu’il racontait peu ou pas avant.
Ce n’est pas pour rien qu’il donne en première partie ce nouvel album, presque au complet. Il s’y révèle sans filtre, à travers des chansons à lui (Ceci est moi, Qui es-tu je seul), des chansons en collaboration (dont J’oublie jamais, jamais, d’aimer, texte de Jeff Moran, encore plus révélatrice), et des interprétations choisies, qui en disent également beaucoup sur lui (La nuit je mens, de Bashung, Mes longs voyages, de Félix, d’autres chansons encore, liées à des mentors ou des amis).
Cet album, qui a peu ou pas tourné à la radio, qui ne s’est pas tellement vendu non plus, émeut pourtant le public de Maisonneuve, peut-être plus que les belles et immortelles prévues et attendues en deuxième partie. C’est comme si on faisait vraiment connaissance avec l’homme, alors que l’on avait surtout suivi l’artiste: avait-il parlé auparavant de sa mère comme il le fait dans la chanson Maman aimait les feuilles, avec sa longue mise en contexte? Non. Cette dame, en perte de mémoire, nous nous en souviendrons désormais. C’est maintenant ou jamais qu’il fallait une chanson pour elle, et c’est ce soir qu’elle existe très fort, cette chanson, et c’est ce soir que l’auteur-compositeur-interprète l’ose, parce qu’elle est essentielle.
Le temps des cadeaux
Une ovation debout après une première partie de chansons nouvelles et passablement inconnues? Oui, ça se peut. Quand on prête flanc à ce point, avec le savoir-faire et le talent en plus, le public écoute, ressent, partage, vit quelque chose de rare et d’intime, et sait l’apprécier. Cela dit, ils sont bien contents, les gens, quand Daniel Lavoie, de retour après «la pause pipi», comme il dit, aligne Où la route mène, Tension attention, la merveilleuse J’ai quitté mon île, Jours de plaine, Qui sait ?, et ainsi de suite jusqu’à Je voudrais voir New York et Ils s’aiment. Et tout le monde goûte ces rendus raffinés et chauds, ces arrangements de qualité supérieure, ce son parfaitement calibré.
Habilement, Lavoie parle beaucoup moins pendant cette suite de chansons familières: ce sont des cadeaux qui se passent de présentation. Il continue de nous atteindre, il continue de sourire de son magnifique sourire, il chante de sa voix puissante en retenue autant qu’à pleins poumons. Confidences en première partie, performance en seconde. Avons-nous eu portrait plus complet de ce compagnon au long cours? Non, vraiment pas. Pour nous aussi, il y a des soirs où c’est maintenant ou jamais. Ce sera tout aussi vrai le 3 mars à l’Outremont, et en tournée, au printemps 2018. Chaque spectacle sera le premier et le dernier : vérité qui vaut pour tous les spectacles de tous les artistes, a priori, mais ce soir, nous en sommes extrêmement conscients.