Daniel Lavoie, pudique face au fracas du monde
IL NE FAUT parfois pas grand-chose - ou plutôt quelque chose d'imprévisible - pour entrer dans la légende de la chanson. Un jour, il y eut un déjeuner à la maison, un sandwich, un verre d'eau, le journal télévisé. Des ruines fumantes à Beyrouth et, à la fin du reportage, l'image de deux adolescents qui marchent main dans la main. « Ça m'a saisi et j'ai aussitôt écrit la chanson. Ça a dû prendre une demi-heure, une heure, et la chanson était écrite», se souvient Daniel Lavoie. «Ils s'aiment comme des enfants/Comme avant les menaces et les grands tourments/Et si tout doit sauter/S'écrouler sous nos pieds/Laissons-les, laissons-les, laissons-les/Laissons-les s'aimer»: personne n'a échappé à Ils s'aiment, son singulier mélange de désastre et d'amour, de désespoir et de foi. Vingt-trois ans plus tard, le chanteur canadien en parle comme d'une chance, d'un miracle, d'un instant inexplicable.
En France, on le résume volontiers à cette chanson-là et à son rôle de Frollo dans le premier Notre-Dame-de-Paris - une gloire de Top 50 et de soirées sur TF1. Mais il a une autre aura chez lui au Canada, avec une grosse vingtaine de tubes et une image plus nuancée.
«Créer une émotion différente»
Il s'installe lundi à l'Européen pour une semaine de concerts parisiens, quelques mois après la sortie de l'album Docteur Tendresse (chez Mercury-Universal). Un album écrit «avec coeur et conscience», dit-il. Après avoir beaucoup chanté les mots des autres ou écrit des chansons pour d'autres (Roch Voisine, Bruno Pelletier, Lara Fabian, Natasha St-Pier, Enzo Enzo, Luce Duffault...), l'envie de dire le monde tel qu'il le voit, tel qu'il le sent, tel qu'à l'occasion il le souffre. «Un mélange d'images, d'émotions, de superpositions d'éléments disparates avec lesquels j'essaie de créer une émotion différente.»
Ainsi, Z'avez des bonbons, une des chansons les plus émouvantes de l'année, avec son mélange de visions élégiaques et de brutalité humaine: «La terre tourne les nuages passent/Le ciel est bleu comme au temps des Grecs/Les vaches broutent et l'herbe pousse/Verte et tendre et douce/Un verre avec un fond de vin est resté sur la table/Et le vin est devenu sable rouge/La pluie tombe et tombe/Sur les collines et les érables/Z'avez des bonbons?/Non, pas de bonbons.» Il admet qu'«il y a beaucoup de lectures possibles à cette chanson, que certains la voient même comme une chanson pour enfants - les bonbons..»
Irradié de tendresse, d'émerveillement et de peine, son nouveau disque surprend aussi l'auditeur français par le peu de lui-même que dévoile Daniel Lavoie, à mille lieues des habitudes de confessionnal de notre chanson. «Je suis très prude. Je viens d'une petite communauté francophone de l'Ouest canadien où on apprend rapidement à fermer sa gueule et à ne pas faire trop de bruit.» Car il n'est pas Québécois. Il est né en 1949 au Manitoba, tout au centre au Canada. «Ce qu'on vit n'est pas un racisme, mais ça peut y ressembler. On se sent ethnique, on ne se sent pas faire partie du grand monde, on se sent un minuscule îlot francophone dans un océan de 350 millions d'anglophones. On vit sa francophonie en secret, sauf quand de temps en temps il y a une petite fête ethnique, qu'on sort nos costumes et qu'on fait nos danses carrées. Mais à part ça, on essaie de se fondre dans la masse, ce qui fait que tous les franco-manitobains que je connais ne se livrent pas facilement, gardent cachées leurs émotions. Quand je suis arrivé au Québec, je n'en suis pas revenu que les enfants jouent en français dans la rue. Au Manitoba, dans mon collège francophone tenu par des jésuites, tous nos cours étaient en français mais, entre nous, on se parlait en anglais. Ce n'était juste pas cool de parler en français. Tout ça, ça te construit une pudeur, mon cher.»
Du 15 au 20 octobre à Paris (Européen, tél. : 01 43 87 97 13), le 31 à Troyes, le 3 novembre à Calvi, le 8 à Chassieu, le 13 à Meaux, le 15 à Amnéville. Puis tournée du 16 février au 31 mars 2008